Depuis la reprise du siège du Vihara par une disciple de Jigme Phuntsok Rinpoche, suite au retour de notre Présidente dans son pays natal, la Corée, notre Centre s’est enrichi de la présence d’une seconde tradition, la Voie tibétaine Nyingmapa.
Le courant Nyingmapa
Le terme d’« Ecole des Anciens » (Nyingmapa) désigne la première école bouddhiste implantée au Tibet au début du VIIème siècle, sous le règne du roi Songtsen Gampo (Srong-btsan-sgam-po) (569-650). Cette école s’affirmera surtout à partir du VIIIème siècle, avec l’arrivée de Śāntarakṣita (né vers 700) et de Padmasambhava, invités tous deux par le roi Trisong Detsen (742-797). Le terme « Nyingmapa » n’apparaîtra toutefois qu’à partir du XIème siècle, pour différencier ceux qui suivent les enseignements transmis par Padmasambhava et ses disciples des adeptes des nouvelles écoles apparues lors de la seconde diffusion du bouddhisme au Tibet.
Śāntarakṣita serait arrivé au Tibet vers 760 ou 770 mais n’aurait pas réussi à réaliser la fondation du monastère de Samye, souhaitée par le roi. Sur ses conseils, ce dernier aurait invité Padmasambhava, qui arriva sans doute au Tibet vers 774. Sous sa supervision, la construction du monastère sera achevée en cinq ans.
Śāntarakṣita
Padmasambhava
Dès 779, Śāntarakṣita ordonne sept premiers moines, fondant ainsi la communauté monastique (saṅgha). Des équipes de traducteurs sont constituées et envoyées en Inde. Padmasambhava eut dit-on vingt-cinq disciples, et la plupart d’entre eux jouèrent un rôle décisif dans la transmission des enseignements du « Véhicule de Diamant » (Vajrayāna) et du Dzogchen (enseignement de la « Grande plénitude », voir infra).
Prévoyant des difficultés à venir, Padmasambhava, avec l’aide de plusieurs de ses disciples, procédera avant son départ à la dissimulation de nombreux enseignements sous forme de «trésors spirituels» (terma – gter ma).
Le stupa rouge du monastère de Samye
Au XIème siècle se manifesteront les premiers découvreurs de trésors (tertön – gter-ston), qui assureront le renouveau de l’école.
Au XIVème siècle, Longchen Rabjam (1304-1363) codifiera l’enseignement nyingmapa dans les « Sept trésors » (mDzod-bdun), achevant de donner à l’école l’identité qu’elle gardera jusqu’à nos jours.
Après lui, de nombreux tertön viendront enrichir les enseignements de l’école ancienne.
Dans l’histoire récente, Düdjom Rinpoche (1904-1987) sera nommé en Inde chef spirituel des Nyingmapa et deviendra une figure-clé de la renaissance de la culture et du bouddhisme tibétains. Après son départ, Dilgo Khyentsé Rinpoche (1910-1991) prendra sa suite.
Düdjom Rinpoche
Dilgo Khyentsé Rinpoche
Caractéristiques de l’enseignement nyingmapa
L’une des caractéristiques de l’école est la présence en son sein d’un saṅgha « blanc », communauté formée de yogis laïcs et mariés, aux côtés d’un saṅgha monastique classique ou « saṅgha rouge ».
L’autre trait saillant de l’école est l’existence de deux lignées de transmission des enseignements, la première orale ou canonique, longue transmission de maître à disciple concernant la discipline (vinaya) et les sūtra, mais aussi une partie des enseignements des tantras anciens et du Dzogchen ; la seconde, transmission brève par terma, inaugurée par Padmasambhava, le tertön découvrant un trésor devenant le second détenteur de l’enseignement après Padmasambhava, quelle que soit la distance temporelle qui l’en sépare.
Corpus doctrinal
Sommairement résumée, la doctrine nyingmapa comprend la discipline (vinaya), les sūtra et les traités (śāstra) du Grand Véhicule avec leurs commentaires indiens et tibétains et les enseignements du Vajrayāna selon les tantra anciens et ceux du Dzogchen.
Son approche philosophique relève à la fois des doctrines du Mādhyamika (« Voie du Milieu ») et du Yogācāra, « Voie de la pratique du yoga » (ou Vijñānavāda, « Voie de la conscience »), par les enseignements de Śāntarakṣita et de Kamalaśīla, ralliées à l’approche des Prāsaṅgika (méthode de réduction par l’absurde) à la suite de Longchen Rabjam, tout en incluant la description cittamātrin (« conscience seule », autre nom du Yogācāra) de la vérité conventionnelle, ou « vérité d’enveloppement » (saṃvṛtisatya).
Les neuf Véhicules
L’école Nyingmapa enseigne le Dharma selon une progression de neuf Véhicules, chacun s’appuyant sur le précédent. Les deux premiers Véhicules correspondent au Hīnayāna : le Véhicule des Auditeurs (Śrāvakayāna) et le Véhicule des Buddha-par-soi (Pratyekabuddhayāna). Puis vient le Mahāyāna ou Bodhisattvayāna, le Véhicule des Bodhisattva. Les six véhicules suivants constituent le Vajrayāna ou Véhicule de Diamant (tantrisme). On y distingue trois tantra externes : Kriyātantra, Upatantra (ou Cāryatantra) et Yogatantra, communs à toutes les écoles, et trois tantra internes, Mahāyoga, Anuyoga et Atiyoga. L’Anuyoga est propre aux Nyingmapa, préconisant notamment une méthode conjointe de visualisation instantanée et de yogas internes.
Le Atiyoga est le Dzogchen, le Véhicule dit « sans efforts ni artifices ». Dzogchen désigne en fait deux choses : 1. L’état de l’Eveil, parfait en lui-même, pur et spontanément accompli, auquel on ne peut rien ajouter ni retrancher. 2. La voie qui mène de l’ignorance à l’actualisation de cet état de perfection primordiale, d’état naturellement éveillé (rig-pa), qui transcende l’esprit discursif ordinaire (sems). Le disciple doit reconnaître en lui cette pure présence vide et lumineuse, puis stabiliser cet état par la méditation pour finalement le faire surgir en toute situation.
En demeurant directement dans cet état de rigpa, sans se laisser distraire ni rien fabriquer d’artificiel, il réalise que tout ce qui s’élève dans l’esprit n’est que le jeu ou le dynamisme de rigpa, la nature de buddha. Cette reconnaissance permet de libérer spontanément émotions et pensées, et de réaliser l’état de buddha en trois corps dans cette vie même.
La progression sur la Voie
Dans l’école Nyingmapa, il est d’usage de dire que la reconnaissance de rigpa est instantanée mais que la voie est progressive parce que les obscurcissements doivent être éliminés. La pratique consistant à « trancher l’opacité », dans le sens de trancher l’illusion (trekchö – ‘khregs-chod) est introduite dès le début, mais la voie combine les différentes méthodes des trois systèmes de tantra supérieurs : « développement, achèvement et grand achèvement ».
La séquence longue de la voie est la suivante : après avoir accompli les préliminaires ordinaires et extraordinaires du Vajrayāna et s’être entraîné à la compassion, le pratiquant s’engage dans les sādhana successifs des trois racines : Guru, Deva et Ḍākinī. Puis il est à nouveau introduit formellement à rigpa et entreprend les préliminaires spécifiques au Dzogchen. Une fois qu’il a stabilisé rigpa grâce à trekchö, il s’engage dans la voie qui mène à la fruition (le « franchissement du pic », thögal – thod rgal).
Il existe cependant une souplesse qui permet à ceux qui en ont la capacité d’envisager une voie plus brève axée sur la pratique du Dzogchen.
Source : Philippe Cornu, Encyclopédie bouddhiste, Editions du Seuil, 2006, p. 418 sq.